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Toute vérité n'est que perception

Trump : l’ultime capitulation des médias américains ?

La nouvelle antienne du candidat républicain est plus dangereuse pour la démocratie américaine que toutes ses ignominies précédentes et pose un problème inédit aux journalistes.

Mes incursions dans la politique internationale procèdent de ma passion pour ces sujets qui, pour reprendre une formule célèbre, ne me sont pas totalement étrangers, ayant conseillé il y a quelques décennies un futur Président de la République française pendant plusieurs années à leur propos. Loin de constituer un argument d’autorité, cette expérience motive simplement les digressions sur la géopolitique que je me permets dans ce blog, bien qu’il ne lui soit pas consacré.Christophe Lachnitt

Trump affirme en effet que l’élection présidentielle va être truquée, manière de réconcilier par avance son narcissisme pathologique avec la perspective d’une éventuelle défaite (une déroute le confronterait cependant à un pénible examen de conscience).

Cette véritable insulte nationale doublée d’une bombe à fragmentation rhétorique qui ne repose sur aucun fait et menace de gangrener la démocratie américaine après le 8 novembre ne suffit pourtant pas à réveiller les journalistes américains.

Il faut dire que, ainsi que je l’ai relevé plusieurs fois sur Superception, ceux-ci ont, depuis le lancement de la candidature de Donald Trump, décidé sans ambages et sans honte de préférer les pics d’audience que leur offre le développeur immobilier à leurs principes déontologiques.

Ils mirent à sa disposition leurs antennes et colonnes et passèrent outre à toutes ses indignités. La liste en est trop longue pour que je les cite toutes ici mais l’évocation de certaines d’entre elles devrait suffire à vous éclairer :

  • la tenue de propos racistes et xénophobes ;
  • une liaison dangereuse avec des représentants des suprémacistes blancs et du Klu Klux Klan ;
  • l’accusation portée contre une journaliste vedette de Fox News que la prétendue agressivité de l’une de ses questions lors d’un débat télévisé résultait de la survenance de son cycle menstruel ;
  • la moquerie, avec une imitation pathétique, du handicap d’un journaliste du New York Times ;
  • l’interrogation sur le fait que les Etats-Unis n’utilisent pas leurs armes nucléaires ;
  • le refus d’accepter la légitimité d’un juge dans l’affaire Trump University au seul motif qu’il est d’origine mexicaine ;
  • le retrait de l’accréditation de plusieurs médias pour les événements de sa campagne en raison de leurs commentaires jugés déplaisants ;
  • le conditionnement à des paiements financiers de l’aide apportée aux alliés de l’OTAN en cas d’agression ;
  • l’appel à la Russie pour qu’elle pirate le compte email d’Hillary Clinton ;
  • les insultes proférées contre les parents d’un soldat musulman mort en héros dans les rangs de l’armée américaine en Irak ;
  • et, pas plus tard qu’aujourd’hui, la suggestion que des électeurs mécontents des décisions que prendrait Hillary Clinton si elle était élue pourrait l’assassiner (voir la vidéo ci-dessous).

Incidemment, c’est finalement la plus grande faiblesse du système démocratique que le seul critère nécessaire pour l’accession au pouvoir soit l’élection par une majorité du peuple concerné. Si les Américains décidaient d’élire Donald Trump1, la vertu de leur expression démocratique couvrirait toutes ses infamies et le fait qu’il ne soit ni préparé ni adapté à la charge présidentielle.

Les deux derniers présidents américains furent aussi considérés comme illégitimes par une partie de leurs opposants, George W. Bush parce qu’il avait perdu le vote populaire lors de son élection en 2000 face à Al Gore2 et, plus tragiquement, Barack Obama en raison de la seule couleur de sa peau.

Dans le cas de Trump, le paradoxe est que les allégations d’illégitimité contre lui nourrissent sa légitimité auprès de sa base électorale la plus fidèle, constituée d’électeurs qui rejettent le “système”.

(CC) Gage Skidmore

(CC) Gage Skidmore

C’est précisément cette imperfection du fonctionnement démocratique qui rend le rôle de la presse si important et lui vaut le qualificatif de “quatrième pouvoir”. Mais encore faut-il qu’elle en soit digne.

Or les journalistes américains ont été plus tolérants, voire complaisants, voire serviles, à l’égard de Trump qu’à l’encontre d’aucun candidat à l’élection présidentielle. Il faut croire que le proverbe “nécessité fait loi” leur tient lieu de boussole déontologique : la chasse aux revenus l’emporte sur toute autre considération.

De fait, comme je l’ai déjà écrit,

Les médias ne furent pas tant otages de Donald Trump que de leurs propres convoitise et couardise. Ils renoncèrent à leur mission civique pour se prosterner devant le veau d’or et adorer une idole factice“.

Même s’il est délicat de classer par ordre de gravité les bassesses de Donald Trump, il est indéniable que l’ébranlement de la démocratie américaine constitue une offense difficilement surpassable.

Certes, l’attitude des journalistes américains a globalement évolué ces derniers temps. Le tournant semble avoir été pris au cours de la semaine de la convention républicaine qui a été riche en dérapages de la part de Trump et a confirmé son incapacité, lors de l’un des moments décisifs de sa campagne, à pivoter vers une candidature plus sensée. On vit ainsi plusieurs journalistes qui jouaient jusqu’alors son jeu sans vergogne se découvrir des réserves morales et politiques à son endroit.

Mais, à quelques exceptions près, ils ne le remirent pas en cause directement dans leurs interviews avec lui (ou les membres de sa campagne) et ne démontrèrent pas la mauvaise foi de ses affirmations. Les journalistes sont peut-être passés de la complaisance à la distance mais ils sont encore loin de la résistance.

Le rôle de la presse est-il de résister à la campagne d’un candidat présidentiel qui a remporté sans coup férir la primaire républicaine face à seize candidats en recueillant le plus grand nombre de votes de l’histoire américaine (plus de 14 millions)3 ?

La réponse à cette question dépend de la mission qu’on attribue aux journalistes.

S’ils sont des agents de divertissement, comme les divers commentateurs et célébrités qui peuplent désormais le paysage médiatique, il est logique qu’ils traitent Donald Trump comme un phénomène de foire. Entre amuseurs, on se comprend et on s’entraide.

S’ils sont des auxiliaires de la démocratie, ce comportement est inacceptable. A mes yeux, le rôle de la presse est d’informer les citoyens pour qu’ils puissent voter en toute connaissance de cause, pas de se faire le relais des déclarations des acteurs de l’actualité sans les hiérarchiser ni les éclairer.

Ce travail doit être accompli en séparant journalisme d’information et presse d’opinion. Le premier exige d’établir les faits et donc de dépasser la fausse équivalence entre des positions respectives présentées par deux parties. La seconde commente lesdites positions en fonction du courant d’opinion dont relèvent les téléspectateurs, auditeurs, lecteurs ou internautes auxquels elle s’adresse.

Il convient d’ailleurs d’observer que la presse d’opinion tend à présenter toute tentative d’établissement des faits par la presse d’information comme le reflet d’une opinion : elle assimile les faits à des opinions pour crédibiliser ses propres points de vue. Or, en matière de vérité, le relativisme conduit au nihilisme. Dans une grande mesure, la candidature Trump est d’ailleurs la conséquence directe de l’attitude adoptée à ce sujet par les grands médias d’opinion conservateurs (Fox News, Breitbart, Drudge Report, Rush Limbaugh, Glenn Beck…) depuis plusieurs années.

Le problème, aujourd’hui, est que l’information pure (la relation des faits) est devenue une denrée sans valeur car elle est partout accessible gratuitement4. Ce sont le commentaire et le divertissement qui permettent aux médias de se différencier et de générer des revenus parce qu’ils satisfont les besoins des citoyens en matière d’appartenance (à une communauté politique) et d’évasion (d’une réalité dont la surinformation rend le caractère dramatique toujours plus présent et proche).

La conséquence est que le commentaire est souvent traité par les médias comme un divertissement sans regard pour les faits. Cette dérive est aggravée par la disette de (presque) tous les producteurs de contenus dans un environnement médiatique qui n’a pas encore trouvé son point d’équilibre économique.

C’est ainsi que la campagne de Trump a été plus couverte par l’ensemble des médias que n’importe quelle candidature politique de l’Histoire (elle a bénéficié de l’équivalent de 3 milliards de dollars de présence gratuite sur les médias américains) parce qu’elle est plus divertissante, spectaculaire et, en un mot, addictive que celles de ses rivaux républicains et Hillary Clinton5.

Et c’est ainsi que Donald Trump6 peut faire ou dire n’importe quoi sans que les médias américains accomplissent réellement leur mission démocratique7 : non pas faire campagne contre lui mais pour la vérité et les valeurs démocratiques.

In fine, comme je le rappelle toujours au terme de réflexions mettant en cause le travail des journalistes, il est aisé de blâmer ces derniers. Mais ce serait oublier qu’ils luttent pour leur survie et que nous sommes les premiers coupables : si nous ne consommions que les médias les plus sérieux, nous leur donnerions les moyens de produire un journalisme minutieux.

1 Une hypothèse que j’ai toujours exclue, en raison du triple déficit idéologique, démographique et logistique de Trump, même lorsque ce dernier semblait inarrêtable.

2 Gore avait reçu le plus grand nombre de suffrages au niveau national mais Bush l’avait emporté au sein du collège des 538 grands électeurs qui reflète la répartition des votes Etat par Etat.

3 Il fut aussi l’objet du plus grand nombre de voix contre lui.

4 Je fais ici référence à l’information courante et pas aux informations révélées par des enquêtes journalistiques d’envergure qui, elles, conservent une réelle valeur marchande.

5 Cette caractéristique se retourne contre Trump ces jours-ci alors qu’il produit plusieurs controverses par jour au lieu de se concentrer sur le contraste avec son adversaire.

6 Incidemment, je ne crois pas une seule seconde à la nouvelle théorie en vogue des deux côtés de l’Atlantique selon laquelle Trump va se retirer de la course à la Maison-Blanche.

7 Ils ne sont d’ailleurs pas exempts de tout reproche dans leur traitement de la campagne d’Hillary Clinton, le premier candidat à la Maison-Blanche dont le FBI a jugé l’approche “extrêmement imprudente” dans le traitement d’informations classifiées.

2 commentaires sur “Trump : l’ultime capitulation des médias américains ?”

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Juste pour signaler une petite coquillle : “Entre amuseurs, on se comprend et son s’entraide.”, lire “et on s’entraide”.

Excellent oeil !
Merci beaucoup d’avoir pris la peine de me signaler cette coquille qui est désormais corrigée.
Xophe

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