2 juillet 2024 | Blog, Blog 2024, Communication | Par Christophe Lachnitt
Politique : la faillite des médias français
La démocratie au bon vouloir du Quatrième pouvoir.
Entre les deux tours de ces élections législatives insensées, nous sommes confrontés à la concrétisation de dangers anti-républicains gravissimes : anti-sémitisme décomplexé, racismes et ostracismes multiples, attaques contre notre Constitution et attachements à des intérêts étrangers. Ce sont les fondements même de notre Société démocratique qui sont ainsi remis en cause aux deux extrémités de notre échiquier politique. L’asymétrie actuelle de ce risque ne gomme pas sa gémellité à maints égards.
Devant ce danger existentiel pour nos valeurs et notre liberté, nos médias commettent depuis un certain temps déjà la même double erreur que leurs confrères américains face à Donald Trump : confondre validité et impartialité d’une part, faire prévaloir l’émotionnel sur le rationnel d’autre part.
La validité des organes d’information ne tient pas exclusivement à leur impartialité, laquelle ne peut être le juge de paix ultime de la fonction médiatique. Si leur activité consiste simplement à tendre leurs micros équitablement aux premiers venus, les médias “traditionnels” ne peuvent prétendre être un pouvoir : ils s’abaissent au niveau des médias sociaux qui enragent leurs utilisateurs pour les engager. En réalité, la hiérarchisation et la mise en perspective de l’actualité sont consubstantielles à la mission des journalistes au bénéfice des citoyens. C’est parce que, dans une Société démocratique et républicaine, tout ne se vaut pas que les médias ne doivent pas être impartiaux : des débats “pour ou contre le racisme” ou “pour ou contre l’égalité devant la loi” n’ont pas la même implication que des délibérations “pour ou contre l’aggravation de la dette” ou “pour ou contre le nucléaire”.
Même la liberté d’expression absolue, dont je suis un défenseur, n’implique pas une liberté d’expansion, c’est-à-dire la faculté pour les prophètes du Mal de bénéficier d’une caisse de résonance médiatique. Je ne suis pas un adepte de la “cancel culture” mais il convient que la démocratie et la république se défendent, sans quoi nous n’aurons plus le choix de notre culture.
J’ai analysé et morigéné à plusieurs reprises sur Superception (en particulier ici, ici, ici, ici, ici, ici et ici) la pratique des médias américains ces dix dernières années, qui a notamment consisté à donner la parole mêmement aux défenseurs et aux adversaires de la démocratie, aux racistes et aux anti-racistes, aux promoteurs et aux renégats de l’intérêt national. Le résultat est que la démocratie américaine subit aujourd’hui des attaques encore plus puissantes et dangereuses en son propre sein que de la part de ses ennemis extérieurs : le tyranneau Trump, qui ne cache aucunement ses intentions césaristes, est aux portes d’une réélection qui plongerait le pays de la liberté dans une convulsion civique sans précédent. Sa défaite ne serait d’ailleurs pas forcément gage de stabilité, tant l’ancien Président a gangréné les esprits1.
Il est ainsi incompréhensible, par exemple, que les médias les plus crédibles continuent de donner la parole à des candidats et élus qui remettent en cause la légitimité de l’élection du Président Joe Biden et qui justifient l’assaut contre le Capitole du 6 janvier 2021 destiné à empêcher le processus de validation de ce scrutin. C’est un cas évident de confusion entre validité et impartialité dans l’exercice de la mission du Quatrième pouvoir : sa validité, qui fonde son rôle, est de défendre la démocratie, pas d’appliquer aveuglément la règle journalistique consistant à laisser s’exprimer les différents point de vue sur un sujet donné, quel qu’il soit. Quand il s’agit des principes démocratiques ou des valeurs républicaines, les médias d’information doivent évidemment changer leur approche habituelle. Ils doivent notamment réaliser que le journalisme d’accès est pour la démocratie un journalisme d’abcès quand il aborde tous les acteurs de l’actualité à l’identique.
Au fond, les médias ont le choix entre raisonner et résonner, entre mettre leur pouvoir au profit de la démocratie qu’ils sont censés servir ou être un déversoir pour toutes les émotions qui animent la Société dans laquelle ils opèrent. Trop souvent, ils choisissent la seconde option car elle produit du spectacle et, partant, de l’audience. Les bouleversements diaboliques suscités par la révolution numérique dans la monétisation de l’actualité, qui vont s’aggraver sous les effets de l’intelligence artificielle générative, ne facilitent certes pas leur mission. Mais, comme l’ont souligné successivement saint Luc et Spiderman, un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. En d’autres termes, la démocratie ne peut pas dépendre du bon vouloir du Quatrième pouvoir.
De même que les médias américains devraient commencer chaque interview avec un anti-démocrate, s’ils veulent continuer de lui donner la parole (ce qui est une faute), par un examen rigoureux et implacable de ses vues dans ce domaine, les médias français devraient-ils éviter de s’entretenir avec des anti-républicains, ou des alliés de ceux-ci, sans les challenger impitoyablement sur leurs positions à cet égard. Dans le cas contraire, ils les légitiment. La fenêtre d’Overton devient alors une porte de hangar, plus précisément la porte d’un hangar à ordures. C’est un phénomène d’autant plus dangereux que la “lassitude des informations”2 progresse chez nos concitoyens, exacerbant leur relation parcellaire et émotive à l’actualité.
Les antisémites, pour ne considérer qu’eux, peuvent promouvoir leur idéologie sans risque dans leurs meetings, sur les réseaux sociaux, dans les clips de la campagne officielle et jusqu’au sein de l’Assemblée nationale. Leur ouvrir de surcroît les antennes et colonnes des médias d’information en les traitant comme des candidats ou élus ordinaires est indéfendable et suicidaire sociétalement. Il en va de même pour toutes les formes de racisme et d’attaques contre les fondements constitutionnels et légaux de notre Etat de droit.
C’est d’autant plus dangereux que ces expressions publiques sont à la violence ce que l’aviation est à l’infanterie sur le plan militaire : elles permettent de préparer le terrain à l’action. On l’observe tragiquement dans la montée terriblement alarmante du racisme et de l’antisémitisme au quotidien dans notre pays ces derniers temps et dans des drames tels que le viol d’une fillette de douze ans à Courbevoie dans une ignoble reproduction des attaques terroristes du Hamas sur Israël le 7 octobre dernier. On ne s’offusque pas de déposséder les terroristes islamistes ou néo-nazis de leur liberté d’expression et, surtout, d’expansion. Pourquoi se scandaliserait-on d’agir de même avec ceux qui leur préparent le terrain et leur permettent de recruter des bourreaux ?
A force d’appréhender les scrutins comme une course de petits chevaux et le débat civique comme un spectacle3, les médias ont perdu de vue leur mission. Ce n’est malheureusement pas une dérive nouvelle : on l’avait déjà subie durant la crise du Covid-19 lorsque les conspirationnistes anti-vaccination bénéficièrent de leur faiblesse et que le Professeur Didier Raoult fut traité comme un oracle.
Le risque, aujourd’hui, est encore plus grand qu’une dégradation de la santé corporelle. C’est notre santé républicaine et démocratique qui est en jeu.
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1 Les médias d’information ont de nouveau manqué à la démocratie américaine en ne dévoilant pas la dégradation de l’état physique et cognitif de Joe Biden qui fut révélé au grand jour, après des mois de camouflage de la Maison-Blanche, lors du récent débat avec Donald Trump. Il est probable qu’une bonne partie de la presse eut peur de servir ce dernier en s’intéressant de trop près à la santé du Président démocrate. Il s’avère qu’elle l’aida en rendant le remplacement de l’ancien sénateur du Delaware impossible de manière efficace si tardivement dans la campagne.
2 “News fatigue”.
3 A cet égard, la responsabilité de France 2, principale chaîne du service public, est singulière.