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Toute vérité n'est que perception

Les médias aiment-ils les extrêmes ou sont-ils trop faibles pour les combattre ?

Je consacrai la semaine dernière un article à l’impéritie des médias américains et français face aux dangers extrémistes auxquels ces deux nations sont confrontées. La semaine écoulée a malheureusement confirmé mon diagnostic.

Le cas le plus tristement exemplaire concerne les Etats-Unis où la calamiteuse prestation de Joe Biden au cours du débat qui l’opposa à Donald Trump a déclenché une panique générale chez les Démocrates (les sympathisants du Parti) et les démocrates (les partisans du régime), que les tentatives ratées du Président de corriger la perception ainsi produite et son refus de se retirer de la course à la Maison-Blanche ne font qu’attiser. Il faut dire que, peu après le débat, il déclara par exemple, dans l’une des interviews destinées à rassurer l’Amérique sur ses facultés, qu’il était “fier d’avoir été Ie premier Vice-Président, la première femme noire à servir un Président noir“.

Le naufrage Biden

L’attitude de Joe Biden est d’autant plus inqualifiable que :

  • Si l’élection du 5 novembre prochain est aussi importante pour la démocratie américaine qu’il l’affirme – et elle l’est -, pourquoi s’accroche-t-il ainsi pour des raisons d’ego, et ce alors même qu’il avait promis d’être un “pont” vers une nouvelle génération démocrate il y a quatre ans, induisant qu’il ne ferait qu’un mandat ? L’importance de son ego est aussi illustrée par l’hallucinante réponse qu’il formula lorsque George Stephanopoulos (cf. infra) lui demanda comment il vivrait une éventuelle défaite contre Donald Trump : “Je pense que, tant que je me suis donné à fond et que j’ai fait le meilleur travail possible, c’est de cela qu’il s’agit“. Si la démocratie américaine est en cause – et elle l’est -, l’enjeu n’est pas de savoir si Joe Biden a fait de son mieux.
  • Dans les sondages, il est non seulement à la traîne de Donald Trump mais aussi des sénateurs démocrates des Etats-pivots (“swing-states”), ce qui signale que sa piètre performance n’est pas liée seulement aux positions démocrates mais aussi à sa personne.
  • Sa stratégie était de transformer cette élection, comme il y a quatre ans, en référendum pour ou contre Trump. Elle est aujourd’hui devenue un référendum pour ou contre lui.
  • Le problème de perception lié à son âge est insoluble : plus il s’expose médiatiquement, plus il crée des moments viraux sur son incapacité et, moins il s’expose médiatiquement, plus il est accusé de se cacher.
  • A force de se défendre, il est tombé dans le même populisme que son adversaire, s’en prenant comme lui aux “élites”, ce qui est stupide politiquement et déplorable moralement.
  • Les Républicains et Donald Trump craignent davantage Kamala Harris que lui, ce que manifeste notamment leur retenue inhabituelle dans l’exploitation de son crash dans le débat : ils ne veulent pas donner des arguments aux Démocrates pour qu’ils changent de candidat.
  • En 1979, lorsque le Président Jimmy Carter était en difficulté et risquait de faire perdre son parti à la présidentielle, un sénateur démocrate commença à sonder ses collègues pour déterminer s’ils soutiendraient la tenue d’une convention ouverte. Il s’appelait Joe Biden.

Dernier commentaire à ce sujet : les Démocrates tombent du piédestal éthique où ils se pensaient perchés : les équipes de Joe Biden ont organisé un mensonge durable sur son état de santé, qui se révèlera l’un des pires de l’histoire américaine si Donald Trump est élu, et les leaders du Parti sont, treize jours après le funeste débat, incapables de faire entendre raison au Président alors même qu’ils ont reproché pendant des années à leurs homologues républicains de ne pas recadrer son prédécesseur.

Depuis ce débat, les médias américains dissèquent chaque pas effectué et chaque mot prononcé par Joe Biden avec toute l’ardeur qu’ils n’ont pas mise à enquêter sur son état de santé depuis deux ans. Ils veulent peut-être se faire pardonner leur échec à alerter le peuple américain sur la complexion de l’octogénaire quand c’était encore utile, c’est-à-dire quand le candidat démocrate au Bureau ovale pouvait être choisi ou changé sereinement.

Ce faisant, ils risquent de corriger une erreur en en commettant une deuxième (espérons une seconde) plus grave encore. De même que, dans la culture américaine, l’étouffement d’une affaire ou d’un crime est réputé pire que la faute originelle, une surréaction est souvent plus délétère que le faux pas qu’elle entend corriger.

L’attitude du New York Times illustre parfaitement ce phénomène : dans la foulée du débat, il appela Joe Biden à se retirer, alors qu’il n’a jamais procédé de même avec Donald Trump. Certes, le lectorat du quotidien new yorkais est plus proche du Démocrate que du Républicain mais je ne sache pas qu’il ambitionne une fonction communautariste. Sa vénérable histoire et son rôle actuel rendent cette différence de traitement aussi inexplicable qu’inacceptable. Entre un candidat respectable mais trop vieux et son adversaire condamné notamment pour viol et falsification de documents et qui déclare chaque jour sa volonté d’aller plus loin encore dans la négation des principes démocratiques et républicains de l’Amérique qu’il ne le fit durant son premier mandat, The New York Times choisit de cibler le premier et non le second.

L’opposition symbolique, outre-Atlantique, entre un apprenti-dictateur et un géronte. Illustration réalisée avec DALL-E 3. Prompt : “Pls create a vibrant 3D Pixar-style cartoon showing a scale in the center. On one side of the scale, there is a detailed, majestic throne with intricate golden designs and cushions. On the other side, there is a modern blue walker with black handles. The background is a solid bright red color, and the scale itself is golden with ornate details. Wide format”

Cette approche est d’autant plus étonnante que, même s’il fut alerte durant le récent débat avec Joe Biden, Donald Trump a lui aussi manifesté des signes de déclin physique et cognitif. On ne compte plus ses siestes pendant ses procès, ses maladresses physiques et, surtout, ses tirades dénuées du moindre sens et de la moindre syntaxe (lire ici par exemple le résumé de son dernier discours en date). Les médias américains oublient également qu’il a refusé de se livrer à une interview avec George Stephanopoulos, l’une des stars de l’information télévisée outre-Atlantique et un intervieweur respectueux mais rigoureux, examen auquel Joe Biden s’est soumis après son débat raté et qu’il n’a pas passé brillamment, loin s’en faut.

Ceux que Donald Trump présente comme “les ennemis du peuple” continuent donc de le protéger contre toute logique démocratique et contre tout intérêt (ils seront parmi les premières victimes de son régime autoritaire s’il parvient à le mettre en place). La situation n’a pas changé à cet égard depuis 2015 et la première campagne présidentielle de l’ancien développeur immobilier lorsque les médias lui livrèrent leurs antennes et colonnes parce qu’il dopait leurs audiences et ventes.

On retrouve cette dérive médiatique à toutes les époques et sous toutes les latitudes : ceux qui ne veulent pas jouer les règles du jeu démocratique ne sont pas couverts par les médias de la même manière que ses défenseurs. On a l’impression que les journalistes abandonnent la partie devant l’énormité des déviations des extrémistes, leur capacité à mentir sans vergogne et leur refus de répondre aux questions qui les gênent.

Même ceux qui challengèrent Donald Trump il y a quelques années y ont renoncé. En outre, il leur donne fort peu d’occasions de ce faire, restant courageusement abrité dans des territoires médiatiques amis. Dès lors, il peut accumuler les déclarations fascistes sans que les journalistes bronchent : une énième vilenie de sa part ne fait malheureusement plus l’événement. En revanche, chaque bourde de Joe Biden est appréhendée comme une affaire d’Etat. Cette différence de traitement confirme aux partisans de l’apprenti-dictateur qu’il est au-dessus des lois applicables au vulgum pecus et alimente le culte de la personnalité dont il est l’objet. En d’autres termes, en renonçant à le challenger, directement dans des interviews ou indirectement dans leurs prises de position à son sujet, les médias américains acceptent et exposent au grand jour leur soumission à Donald Trump.

De ce côté-ci de l’Atlantique, les organes d’information ont challengé les extrêmes de manière hémiplégique, durant la dernière semaine de campagne pour les élections législatives, eu égard aux dangers que j’évoquais dans mon précédent article : anti-sémitisme décomplexé, racismes et ostracismes multiples, attaques contre notre Constitution et attachements à des intérêts étrangers. Il eut été plus pertinent que ces examens intervinssent plus tôt et fussent appliqués mêmement à l’ensemble de l’échiquier politique. Autre exemple parmi tant d’autres de cette hémiplégie éditoriale, on vit de nouveau, dimanche soir, lors de la soirée électorale, TF1 et France 2 diffuser la déclaration de Jean-Luc Mélenchon mais pas celle d’Olivier Faure, et ce alors même que les taux de progression du PS et de succès de ses candidats dans cette élection sont très largement supérieurs à ceux de LFI.

Ainsi donc, aux Etats-Unis comme en France, l’unité de bruit médiatique, qui mesure la pression médiatique d’un sujet ou un acteur de l’actualité et ne devrait intervenir qu’en aval de la couverture de celle-ci, semble de plus en plus être considérée en amont pour la déterminer.

C’est une inversion dangereuse pour nous tous.

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