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Toute vérité n'est que perception

On n’imagine pas des Jeux olympiques séparés pour les personnes noires, juives ou LGBTQ+. Alors pourquoi l’accepte-t-on pour les personnes handicapées ?

Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris ont été une réussite magistrale. Ils resteront dans l’Histoire parce qu’ils résideront pour toujours dans les coeurs. Il faut cependant évoquer le goût amer qu’ils laissent aussi, comme toutes les éditions précédentes.

J’ai assisté il y a quelques jours aux compétitions de natation des Jeux paralympiques au sein de l’Arena de Nanterre et, comme tout un chacun, j’ai été impressionné par les performances des athlètes et enthousiasmé par le soutien dont ils ont bénéficié. Il faut aussi souligner le formidablement festif accueil du public par les volontaires. Mais cette expérience a donné une nouvelle acuité à la tristesse que je ressens depuis longtemps au sujet du traitement des personnes handicapées par le monde olympique et son écosystème : ma première indignation à ce propos sur le blog Superception remonte à 2012.

Il faut dire que ce sujet est personnel pour moi : j’ai un handicap invisible depuis mon accident d’alpinisme. En outre, mes quatre rencontres avec la mort m’ont inoculé un sentiment très aigu de la chance invraisemblable que j’ai d’être encore vivant et une profonde compassion pour ceux qui n’ont pas ma baraka. C’est peut-être pourquoi la dualité des Jeux olympiques et paralympiques me heurte si fortement.

Tout distingue les vrais Jeux des Jeux secondaires :

  • Les cérémonies d’ouverture et fermeture.
  • Les dates de compétition.
  • Les stars présentes pour les suivre.
  • Leur couverture médiatique.
  • La communication, qui est passée par toutes les tonalités pour inciter les (télé)spectateurs à les regarder. A cet égard, plus les décideurs et commentateurs ont voulu nous convaincre de ne pas considérer les Jeux paralympiques comme “des Jeux de seconde zone“, plus ils ont ancré cette perception dans l’opinion selon un processus communicationnel notamment théorisé par le linguiste américain George Lakoff.
  • Le plus symbolique et donc le plus choquant : les logos. Les personnes handicapées ne peuvent pas utiliser le logo des cinq anneaux dessiné par Pierre de Coubertin qui inspire le monde entier depuis le début du vingtième siècle. Comment mieux leur signifier qu’elles n’appartiennent pas au même monde, qu’elles sont des sous-athlètes ? Le comble de l’infamie, dans ce domaine, est que, jusqu’à tout récemment, les athlètes des Jeux paralympiques n’avaient même pas le droit d’exposer les anneaux des Jeux olympiques à travers des tatouages sur leur corps, sous peine de subir des pénalités qui pouvaient aller jusqu’à la disqualification des Jeux paralympiques. Cette règle suprêmement discriminative et humiliante fut abandonnée il y a quelques jours seulement.
(CC) Mary Neuman

Certes, le rêve de voir les compétitions des athlètes valides et handicapés se dérouler conjointement, les mêmes jours dans chaque discipline, serait difficilement réalisable dans certains sports. Mais qu’est ce qui empêcherait d’unifier les deux événements pour qu’il n’y ait plus que des Jeux olympiques avec l’ensemble des athlètes sous la bannière des anneaux, de fusionner les cérémonies, d’allonger les dates de la compétition et d’alterner dans le programme des compétions d’athlètes valides et handicapés afin que ces derniers ne passent pas au second plan, y compris chronologiquement comme c’est le cas aujourd’hui ? Il existe des catégories de poids dans plusieurs sports valides. Pourquoi ne pas y ajouter les catégories de handicap afin de créer des Jeux olympiques uniques pour les athlètes et les para-athlètes ?

Quand on l’interroge sur la réunion des Jeux olympiques et paralympiques, Tony Estanguet fait valoir deux arguments qui ne me convainquent pas malgré l’admiration que je lui porte.

En premier lieu, il souligne que fusionner les deux événements induirait la mise en place d’un village des athlètes beaucoup plus grand et, partant, coûteux. Accepterait-on que cet argument financier soit dirimant s’il s’agissait de mettre en quarantaine les personnes noires, juives ou LGBTQ+ ? Pourquoi l’accepter pour les personnes handicapées ?

En second lieu, Tony Estanguet explique que les para-athlètes bénéficient d’une plus grande exposition en ayant leur propre événement qu’en étant intégrés avec les athlètes valides (que je préfère d’ailleurs qualifier de “typiques“). Si tel était vraiment le cas, il faudrait alors aussi organiser des Jeux séparés pour les “petits“ sports car ils seraient censément écrasés par les disciplines reines (athlétisme, natation…) en se déroulant conjointement avec elles. Or on observe exactement le contraire : durant les Jeux olympiques, on parle du tennis de table, du tir ou du canoë (la discipline de Tony Estanguet) parce que ces épreuves tirent parti du halo médiatique créé par les compétitions les plus prestigieuses. En outre, si je considère un sport que je suis de près, le tennis, il est tout aussi évident que les femmes ont plus d’exposition sur les tournois (Grand Chelem et certains ATP Masters 1000/WTA 1000) qu’elles partagent avec les hommes que sur ceux qui leur sont propres. On peut le regretter mais c’est ainsi.

Au-delà des magnifiques messages d’inclusion véhiculés pendant les Jeux olympiques et paralympiques de Paris grâce à Tony Estanguet et ses équipes, ce dont les personnes handicapées ont le plus besoin sont des réalisations. Les actes valent toujours mieux que les intentions ou les paroles. Ainsi, imagine-t-on, dans n’importe quel autre champ d’activité politique, économique, social ou culturel, une telle mise à l’écart d’un groupe de population ? Son initiateur serait immédiatement accusé d’émuler la ségrégation ou l’apartheid. Pourtant, avec les Jeux olympiques et paralympiques, c’est ce que nous acceptons tous les deux ans. Je suis très étonné qu’il n’y ait pas davantage de colère au sujet de ce qui me semble un scandale : le sport, au lieu d’unifier comme il le devrait dans sa compétition la plus iconique, divise. Il s’agit de l’une des discriminations les plus visibles et pourtant les plus ignorées.

Il n’est pas question ici de critiquer spécifiquement les remarquables Jeux olympiques et paralympiques de Paris (durant lesquels, justement, tout a été fait pour effacer les différences entre les deux événements1), comme le montre la cohérence de mes écrits à ce sujet depuis ceux de Londres il y a douze ans, mais l’ensemble du mouvement et de l’écosystème (notamment politique et médiatique) olympique.

A propos de la capitale, il est cependant une autre indignation que je voudrais exprimer : Valérie Pécresse, Présidente de la Région Ile-de-France, a annoncé cet été son objectif de rendre les stations du métro parisien accessibles aux personnes handicapées d’ici… 20 ans2. On est loin des résolutions du “Americans with Disabilities Act“ américain qui date de… 1990. Depuis belle lurette, il suffit de se rendre aux Etats-Unis pour découvrir à quoi ressemble un pays qui respecte vraiment les personnes handicapées, pas seulement d’ailleurs dans la manière dont ses infrastructures leurs sont adaptées (il est par exemple impossible d’y trouver ne serait-ce qu’un trottoir qui n’ait pas été aménagé pour elles), mais aussi sur le plan culturel.

En France, les personnes handicapées entendent davantage de paroles qu’elles ne constatent d’actes : c’est notre Société qui est la plus à mobilité réduite, incapable de se transformer pour les intégrer.

1 Logo et identité graphique de cette édition des Jeux identiques pour les compétitions olympiques et paralympiques (pour la première fois dans l’histoire des JOP), athlètes paralympiques mis à l’honneur pendant les cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux olympiques, cérémonies d’ouverture et de cloture des Jeux paralympiques d’une ampleur et créativité inédites, et couverture télévisée sans précédent.

2 Aujourd’hui, seulement 29 stations sur 320 leur sont accessibles. Même si ce ne sont pas les mêmes budgets, il est permis de s’interroger sur la priorité donnée à l’assainissement de l’eau de la Seine plutôt qu’à l’accessibilité des infrastructures de transport dans l’optique des Jeux olympiques et paralympiques de Paris. Et encore cet enjeu d’accès aux transports n’est-il qu’un problème parmi les nombreuses entraves à l’intégration des personnes handicapées dans la Société française.

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